Rectificatif d’alambic qui a pour fonction de purifier et rectifier les vapeurs d’alcool lors d’une distillation. © Photo Anne-Sophie NIVAL
Tombé dans la marmite
Alain Lagorsse et son fils Yoann, dans le village de Saint-Amand-de-Coly où culmine une église abbatiale fortifiée, perpétuent une tradition ancestrale.
Quand on pénètre dans l’atelier d’un dinandier, l’œil est tout autant sollicité par les œuvres réalisées que par les outils qui accompagnent les artisans. Burins de toutes tailles, marteaux et maillets aux têtes luisantes, sont alignés dans un ordonnancement rigoureux qui rend grâce aux mille reflets qu’ils renvoient. Humbles et efficaces, ils sont au service des marmites, des casseroles, des alambics, des objets décoratifs, qui flamboient fièrement de toutes leurs courbes cuivrées.
Chez les Lagorsse, le cuivre est roi. Les feuilles de cuivre sont importées, avant d’être découpées en « flancs » par les artisans. Martelés, travaillés sur des « formes » de différents calibres, puis ciselés, les flancs se métamorphosent en pièces uniques. Elles feront le bonheur des distillateurs, des confiseurs, des brasseurs, des restaurateurs, mais aussi des particuliers, pour n’importe quel motif de décoration.
« À la différence des chaudronniers, nous ne pouvons moralement refuser d’entreprendre une forme que l’on nous réclame, commente Alain. C’est comme un devoir, nous sommes ouverts à tout. Nous partons toujours d’un dessin à l’échelle 1, qui nous permet de calculer le gabarit de l’objet fini. »
Il arrive aussi à Alain et Yoann de satisfaire des commandes des Bâtiments de France, ou de restaurer des antiquités par étamage, c’est-à-dire d’apposer une pellicule d’étain alimentaire, après décapage de la vieille pièce de cuisine.
Une des dernières dinanderies françaises
Les techniques du dinandier se sont développées au début du XVIe siècle, en bordure de la Meuse, dans la ville belge de Dinant, qui a donné son nom à ce savoir-faire immuable des « batteurs de cuivre ». Puis les secrets des artisans ont essaimé. En France, ce sont d’anciens soldats normands, de retour de la guerre des Flandres, qui ont érigé le village de Villedieu-les-Poêles en capitale de la dinanderie. Des Auvergnats créèrent ensuite à Aurillac un second centre important, essentiellement pour répondre à la demande utilitaire de batteries de cuisine. Pour sa part, Alain Lagorsse débute son parcours par un apprentissage entre 15 et 18 ans, avant de partir pendant six ans sur la route des Compagnons du Tour de France. Originaire de Corrèze, il s’installe en 1979 à Saint Amand. En 1989, un titre de meilleur ouvrier de France vient saluer son talent, dans un domaine où les savoir-faire se raréfient.
Bonne nouvelle, chez les Lagorsse, le feu de la forge ne s’éteindra pas de sitôt, puisque le flambeau est déjà transmis. « J’allais bricoler avec mon père dès que je sortais de l’école, se souvient Yoann. Je savais qu’un jour je prendrai la relève. C’est arrivé en octobre 2021. » Maintenant, c’est Alain qui vient donner un coup de main quotidien à son si proche successeur. Dans la famille Lagorsse, l’art du cuivre (et du laiton) a encore de beaux jours devant lui.
Par Hervé Brunaux